Mon parcours de recherche… Vu par le petit bout de la lorgnette Après être sortie de Sciences Po Paris et des concours de prof du secondaire (en sciences économiques et sociales), j’ai travaillé dix ans dans un très bon lycée (1988-1998), dans le cadre d’un travail d’équipe remarquable, qui m’a plutôt laissé de bons souvenirs. Puis, ayant la bougeotte, je suis revenue faire un DESS dans ma maison-mère sur le « développement social d’entreprise », sous la houlette notamment de Renaud Sainsaulieu que je considère comme un sociologue d’entreprise humaniste, grand pédagogue, auquel j’ai dédié ma thèse. J’ai, à l’occasion de cette reprise d’études, réalisé des travaux sur la mobilité des chercheurs et ingénieurs du CNRS, puis sur la naissance d’une gestion des ressources humaines au CNRS. Cela m’a conduit tout simplement à devenir chargée de mission à la DRH du CNRS pendant quatre ans (de 1990 à 1994). Nous étions des sortes de consultants internes, pionniers « d’une dynamique de management » des laboratoires, |
L'ère
du coaching
démarche
pilotée par la direction générale du CNRS, à
partir de 1991 : notre rôle était d’accompagner
les consultants d’un grand cabinet de renom chargés de
mettre en mouvement les laboratoires autour du management des équipes
et de faire émerger des solutions. |
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chargée de mission interne, nous avons donc élaboré des diagnostics sociologiques de fonctionnement des laboratoires, au risque de recevoir quelques cageots de tomates à la figure, lors des restitutions auprès des personnels des labos. En 1994-95, la gestion des ressources humaines au CNRS s’oriente vers un renforcement des activités administratives. Comme je sentais que je n’allais plus trop m’amuser, j’ai candidaté à un poste à l’université et j’enseigne donc encore aujourd’hui à Paris 13 dans la composante de sciences de la communication (Villetaneuse), fac dans laquelle il est très agréable de travailler. Mes interrogations sur le management ont une autre source. Dans le cadre des travaux du DESS « Gestion de l’emploi et développement social d’entreprise » (promo 1988-1989), j’avais réalisé une petite étude sur les formations outdoor (proposant des exercices « très . . .suite page 2 |
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1 G. GUILHAUME, F. RYCKEBOER, Laboratoires
en projet, Cahiers du LSCI-IRESCO, 1993, n° 33 |
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physiques »,
comme le saut à l’élastique par exemple dans un
cadre naturel, destinés à développer ensuite les
comportements de risque, les attitudes de confiance, de courage dans
l’entreprise), en me rendant à une séance de débriefing,
animé par un consultant connu dans un « château »
magnifique situé en forêt de Fontainebleau. Mes interrogations multiples sur ce type de séminaire m’avaient déjà conduit à une analyse très critique de ces formations comportementales, véhiculant des risques importants d’emprise et exerçant une violence réelle sur les salariés. En 2000, je lis avec une certaine passion le livre de Luc Boltanski et Eve Chiapello, intitulé « Le nouvel esprit du capitalisme » (voir bibliographie). J’y retrouve, à travers leur analyse des discours du néo-management, toutes sortes de pensées qui m’habitaient déjà mais n’avaient jamais été formulées |
clairement. Je décide alors de m’intéresser
à certains dispositifs de formation ou d’accompagnement
en entreprise, qui proposent un travail de développement personnel
au service de la performance en entreprise : le coaching et les
formations expérientielles. Celles que j’ai étudiées sont destinées à développer librement les interactions entre les participants en faisant resurgir un inconscient collectif pour transformer l’organisation, à partir de séminaires se caractérisant par un cadrage du temps très strict et une liberté totale d’action dans ce cadre. J’entre alors dans la vie plus ou moins monastique de l’élaboration enthousiasmante et douloureuse de la thèse. En sollicitant mon réseau (je travaillais notamment à l’époque à l’université avec deux professionnels dans le domaine du coaching, Guy Rullaud¹ et Benoît Melet², que je remercie de m’avoir ouvert un |
véritable terrain d’enquête),
je découvre que les consultants du coaching aujourd’hui
sont souvent les personnes qui organisaient et animaient les formations
out door dans les années 80 et 90. J’ai pu ainsi réaliser
un nombre important d’entretiens semi-directifs auprès
des consultants-coaches et des managers coachés durant deux ans
(voir échantillon). Très vite le « sens dessous »
du coaching m’est apparu à travers les paradoxes vécus
par les responsables dans leurs rôles, à travers les paradoxes
du coaching lui-même. L’élaboration de la thèse a cependant été difficile, car je n’ai pas osé, au début, exprimer suffisamment et de façon assez claire mon analyse critique portant sur les discours des consultants du coaching. Je dois beaucoup à mes directeurs de thèse Yolande Combès³ et Pierre Moeglin4 qui, par leur . . .suite page 3 |
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1 G. Rullaud, responsable associé d’un cabinet
de conseil Headic&Adlance pratiquant notamment le coaching des dirigeants. 2 B. Melet, responsable d’un cabinet de conseil en développement des ressources humaines Convergences, conseiller en coaching de grandes entreprises, responsable pédagogique de l’Institut du Coaching. 3 Yolande Combes, professeure à l’Université Paris 13, membre du Labsic, laboratoire des sciences de l’information et de la communication. 4 Pierre Moeglin, professeur à l’université Paris 13, directeur du Labsic |
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maïeutique
sans relâche, m’ont incité à aller jusqu’au
bout de ma pensée. C’est l’enquête, qui, par
tous les rapprochements et récurrences dans les paroles des consultants-coaches
et des managers coachés, m’a permis de dévoiler
ces fameux paradoxes qui sont le lot quotidien du vécu des managers
et participent à de nouvelles formes de domination : les
managers à travers ces paradoxes imposent de nouvelles contraintes
à leurs salariés, des restructurations, des réorganisations
permanentes tout en étant à leur écoute, tout en
les impliquant et les accompagnant personnellement dans une montée
de leurs performances. Ces paradoxes passent par la communication. Ils ne sont pas visibles d’emblée : les discours qui présentent le dispositif de coaching, et la communication managériale dans son ensemble sont euphémisés : ainsi, le manager ne peut être que « gagnant » dans un développement de son savoir être au service de la performance de |
l’entreprise. Dans ma thèse,
soutenue en 2006, j’ai évoqué à propos des
euphémismes la manifestation d’une violence symbolique
au sens de P. Bourdieu (voir bibliographie).
En écrivant mon livre, en relisant avec plaisir E. Enriquez (voir bibliographie), en discutant avec mes deux directeurs de collection, Djaouida Séhili¹ et Patrick Rozenblatt², j’ai été plus loin et j’ai évoqué la violence « tout court ». La violence « cachée » dans ce type de dispositif n’est pas seulement symbolique, elle n’est pas directement physique (il ne s’agit pas répression), bien que la souffrance qui en résulte touche l’âme et le corps. Elle opère surtout dans la psyché individuelle : il s’agit à la fois de valoriser les personnes et les échanges personnels, à travers une relation calquée sur la thérapie individuelle, et de faire intérioriser, en euphémisant les rapports de force, l’accroissement des contraintes productives : ainsi, grâce au coaching, les managers sont responsables de la conduite du changement (mais non coupables |
de ses processus destructeurs) auprès
des directions et des actionnaires et les salariés deviennent
acteurs de leur chômage, de leur mobilité, de l’accroissement
de la pression productive, résultant de fait des orientations
économiques et financières des entreprises, dans le capitalisme
financier : on est bien dans la soumission volontaire mise en valeur
par E. Enriquez. J’ai ainsi montré que les managers étaient très satisfaits de se faire coacher, même s’ils expriment une souffrance au travail. L’ère du coaching, attractive, présente donc de nouvelles formes de domination beaucoup plus subtiles du capitalisme aujourd’hui. N’est-elle pas la manifestation avancée de la prédominance d’un monde gestionnaire où la valorisation à l’extrême des personnes doit être compatible avec le contrôle permanent des performances dans un but de profit ou d’efficacité ? . . .suite page 4 |
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1 D. Sehili, sociologue, maître de conférence associée à l’université Paris 13, directrice de la collection « Sens dessus-dessous » aux éditions Syllepse. 2 P. Rozenblatt, sociologue du travail, professeur, directeur de l’Institut d’études du travail à l’Université Lyon II, directeur de la collection « Sens dessus-dessous » aux éditions Syllepse. |
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Ces
questions que l’on retrouve dans les travaux actuels de « L’appel
des appels »¹ pourraient faire l’objet de mes
prochaines recherches, dans le secteur public cette fois-ci. Ces pratiques gestionnaires arrivent à grands pas à l’université : nous entrons dans la phase douloureuse de ces transformations. J’espère donc avoir le temps, à côté de la direction pédagogique du master en |
formation continue « Communication et ressources humaines », des enseignements qui sont une priorité, après avoir effectué toutes les activités administratives, après avoir rempli tous les tableaux de bord nécessaires au contrôle des résultats, avoir la possibilité de me pencher sur ces questions. |
Internautes, |
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